Marianne - Simone Léveillé

Simone Léveillé
Simone Léveillé,
la jeune espionne au service de la France La Résistance n’est pas qu’une affaire d’hommes, c’est une affaire de Français et Françaises refusant la défaite et luttant pour la libération de la nation. Et les femmes ont joué un rôle primordial et de premier rang au sein des mouvements de Résistance. La Moulinoise Simone Léveillé en est un parfait exemple : une femme déterminée et passionnée qui a lutté dès le 18 juin 1940 en rejoignant l’armée de l’ombre.
« La France ne sera jamais vaincue, car ses enfants sauront la défendre ! Je vous jure que si les Allemands pénètrent dans Moulins, même s’il devait m’en coûter la vie dès le premier jour, je ferais tout pour les combattre ! Nous ne devons pas accepter la défaite », c’est par ses mots directs et sans pincettes que Simone Léveillé, 20 ans, envoie promener une vieille dame défaitiste dans la boutique où elle travaillait le 17 juin 1940.


La jeune Moulinoise assiste effarée au défilé de réfugiés et militaires français sans armes fuyant l’avancée allemande.
Et lorsqu’elle écoute le Maréchal Pétain à la radio, elle est effondrée.
« Un armistice dans l’honneur ! C’est impossible. Il ne peut pas accepter. Peut-être veut-il gagner du temps pour embarquer des troupes en Afrique ? Je me raccroche à des suppositions impossibles et quelques jours plus tard toutes mes illusions s’évanouissent. De sa voix chevrotante, il nous annonce qu’il a signé cet armistice honteux.
Le salaud ! Mais enfin, les Anglais, que deviennent-ils ? Ont-ils eux aussi signé l’armistice ? La radio n’en parle pas. Pourquoi ? Vite, je tourne le bouton de la TSF et cherche un poste anglais. Tiens ici on parle français. Le général de Gaulle continue la lutte. Les colonies, la Marine, l’Aviation doivent se rallier à lui. La guerre continue ! Et dans l’enthousiasme de mes vingt ans, je me sens heureuse. Mon imagination voit alors les colonies, toutes les colonies marchant main dans la main avec le général de Gaulle. Ce général, dont il y a une heure, j’ignorais le nom, mais que déjà j’avais choisi comme chef. D’heure en heure, j’écoutais cette radio qui était l’écho de mon coeur. J’aimais entendre la voix de ces hommes qui pensaient comme moi, en n’acceptant pas la défaite. Les jours suivants, je fus cruellement déçue de voir que les trois quarts de la France et de l’empire croyaient au maréchal. Ma fidélité au général de Gaulle s’en accroît d’avantage et tous les soirs durant quatre ans, je fus fidèle aux émissions de Radio Londres. En cette fin de juin, pour bien des Français, la guerre était finie, nous étions vaincus mais le maréchal allait relever la France en collaborant avec l’ennemi. Beau redressement en vérité ! Les Français surpris de voir que l’Allemand était un homme, un homme ‘Korrect’ et poli, trop poli, acceptèrent, certains avec un soupir de soulagement, la fin des hostilités. La vie continuait... les dangers des bombardements étaient écartés.
Les lâches étaient heureux. Et pourtant, depuis plusieurs jours, les Allemands, de leurs bottes, foulent le pavé de nos rues ».
Simone Léveillée fut une des très rares personnes à Moulins à écouter l’appel du général de Gaulle le 18 juin, et pour cause, c’était le jour de l’arrivée des Allemands dans la capitale bourbonnaise. Un jour maudit pour elle : « Date qui restera à jamais gravée dans ma mémoire ». Après avoir vécu toute la journée, pendant la défense des deux ponts par l’armée française, dans des abris comme toute la population civile de Moulins, elle relate dans ses mémoires l’ambiance en fin de journée lorsque les canons se sont tus : « La route qui ce matin était encore encombrée est maintenant déserte.
Mais une heure plus tard, commencera le défilé interminable de l’armée allemande filant à toute allure sur nos routes de France.
Oui c’est évident, ils sont les plus forts. La France va être occupée, nous ne pouvons pas arrêter une force pareille. Ce sera long, mais ils ne seront pas vainqueurs. Ce matin je l’affirmais encore à un soldat découragé. Il m’a regardé ahuri lorsque je lui ai dit : la victoire c’est nous qui l’aurons un jour ! Maintenant, un bruit circule dans la ville. Il va y avoir deux zones. Une zone occupée et une zone libre.
Moulins serait sur la ligne de démarcation. Bientôt ce bruit devient une certitude. Quelques jours plus tard, Moulins est fermée sur deux côtés. Des barrières sont dressées sur la route de Lyon à Toulon-sur-Allier, ainsi qu’au pont Régemortes. Devant la Kommandantur, les Moulinois font la queue pour obtenir un laissez-passer. J’en obtiens un assez facilement, grâce à une propriété que j’ai en zone libre à Neuilly-le-Réal »
C’est ainsi que Simone Léveillé découvre les premiers instants de la ligne de démarcation. Mais fidèle à son tempérament et son esprit guerrier, elle fera de cette frontière de la honte une opportunité pour lutter et se mettre au service de la France. Au début ce n’était qu’un passage de courriers clandestins mais le destin va lui donner un petit coup de main : « Alors, comme la plupart des Moulinois, je commence à passer de gros paquets de lettres. Je franchissais la frontière à Toulon et en passant au poste français, le poste des Gris, à l’aller et au retour, je m’arrêtais pour serrer la main du soldat de garde. Un jour, ayant envie de bavarder, je me suis arrêtée plus longuement. En quittant le soldat je lui dis : vous avez peut-être des lettres à mettre en zone occupée ? Prenant sur l’étagère de la guérite une cinquantaine de lettres il dit : il y a tout ce paquet.
Je lui dis : donnez-les-moi, elles partiront ce soir. Depuis ce jour, je fus un des principaux vaguemestres du poste des Gris. Puis un jour commença pour moi la grande aventure. L’aspirant Walter (appartenant au 152ème RI), chef du poste des Gris me demanda :
« y a-t-il beaucoup d’Allemands à Moulins ? Que font’ils ? Pourriez-vous me donner quelques renseignements sur eux ? J’entrevis alors, la magnifique activité qui s’ouvrait à moi. Sur le chemin du retour, transportée d’enthousiasme, je ne sentais plus le vent froid de novembre ».
La jeune Moulinoise est passée du transport de courrier à la transmission d’informations vers l’armée française. Mais comme Simone Léveillé est douée, elle va vite se faire remarquer par les services spéciaux : « Élève attentive, de semaine en semaine, je faisais des progrès. Tous les deux jours, je portais au poste français un rapport d’activité des troupes occupantes. Pourriez-vous avoir des renseignements sur le trafic ferroviaire allemand en gare de Moulins ? Me dit un jour l’aspirant Walter. Le soir, je rencontrais le père d’une de mes amies, monsieur Charpin employé de la gare. Tout me passe par la main me dit-il. Je pourrais dès cette nuit relever les renseignements que vous me demandez. En effet, le lendemain, je pouvais emporter
à l’aspirant Walter, l’horaire, la provenance et la destination de tous les trains allemands passant par Moulins. Au printemps 1941, l’aspirant Walter fut remplacé par l’adjudant Leonard (appartenant au 92ème RI). Le travail continua comme par le passé. Il me présenta un jour au commandant, qui me félicita pour les services rendus. Quelques mois plus tard, cette entrevue eut une heureuse conséquence pour moi ».
En effet, Simone Léveillée ne le savait pas encore, ayant fait ses preuves est recrutée par les services spéciaux de la défense nationale. Elle devient alors militaire des services de renseignements (SR) du réseau Kléber des Forces Françaises Combattantes (FFC) : agent P1 matricule 103.710. Elle poursuit son travail d’espionne sans connaître son statut militaire : « En 1941, Moulins regorgeait d’Allemands, je n’avais pas les yeux assez grands pour tout voir. Le trafic ferroviaire et routier était intense. Nos murs étaient couverts d’affiches, la propagande battait son plein. Monsieur Charpin continuait de me donner l’horaire des trains militaires allemands. Je relevais les insignes sur les autres, sur les bâtiments occupés par la Wehrmacht. Je me renseignais sur l’effectif logé dans chaque cantonnement, notais les armes auxquelles les soldats appartenaient.
J’apprenais à connaître le genre d’armement dont ils se servaient au cours des manoeuvres et je signalais les exercices qu’ils exécutaient.
Quelquefois, j’arrivais à avoir des renseignements précis en faisant parler des collaborateurs ou des femmes de ménage qui travaillent chez eux. Depuis quelques semaines, je commençais à être inquiète car les fouilles devenaient plus fréquentes au poste de Toulon. Je passais toujours les lettres en quantité et maintenant que je faisais un travail utile je n’avais pas envie d’aller faire un tour à la Malcoiffée ! »


Quelques semaines plus tard en mai, l’adjudant Leonard s’en alla et Simone Léveillé fut envoyée au Quartier Villars, au 2ème bureau celui du service de renseignement et fait connaissance avec le lieutenant Henri Ximenes : « Le lieutenant me pose un grand nombre de questions d’usage. Il veut savoir à qui il a à faire, c’est compréhensible. Enfin, il se décide à me confier du travail. Le travail est sensiblement le même que celui exécuté précédemment, mais plus étendu. En plus il me faudra m’occuper de l’industrie et des suspects. Naturellement il est inutile de continuer à donner des renseignements au poste des Gris et interdiction de passer des lettres. Cette dernière condition m’ennuie un peu. Combien de gens seront privés de nouvelles ? Mademoiselle, me dit le lieutenant, dès aujourd’hui vous êtes militaire et vous devez m’obéir. Il ne faut pas vous faire arrêter bêtement pour des lettres alors que vous allez être beaucoup plus utile. Nous avons besoin de vous ».
Et voilà la jeune Moulinoise appartenant au réseau de renseignement militaire Kléber, poursuivant de plus belle son rôle d’espionne et résistante : « Les semaines passent, je vais observant et épiant les moindres gestes de ces messieurs vêtus de vert. Tout éveille mon attention : un nouveau fanion, un nouvel insigne sur une auto, un dessin inconnu qu’il faut griffonner sur un papier. Bientôt l’observation devient un réflexe et le moindre changement est aussitôt remarqué.
La plupart du temps c’est à bicyclette que j’allais d’un bout à l’autre de Moulins. L’après-midi, je visitais les environs, Avermes, Yzeure, etc… Et deux jours plus tard je devais recommencer pour m’assurer qu’il n’y avait pas de changement ».
Simone Léveillé traverse la ligne de démarcation par plusieurs endroits, et de diverses façons, et avec des messages codés souvent dans une boulette de papier sulfurisé dans la bouche, au cas où elle doit l’avaler, car les fouilles allemandes sont plus fréquentes et plus poussées. Mais sa garde ne se baissait pas une fois à la Madeleine « zone neutre à demi, qui regorgeait d’espions. Que de gens traînaient dans les rues et dont le seul travail était d’observer.
Il s’en trouvait surtout vers la Poste où vers la caserne. Nous en connaissions beaucoup, mais peut-être y en avait-il que nous ne soupçonnions pas. Il fallait se méfier. Durant plus de trois ans, il fallut se méfier toujours de tout ».
Simone Léveillé, militaire, a fourni une masse colossale de renseignements au lieutenant Ximenes puis à son successeur le lieutenant Schneider. Mais elle a aussi, à partir du 12 juin 1942, fait passer clandestinement la ligne de démarcation à des agents des services de renseignements, souvent en traversant l’Allier à la nage, mais aussi sur le pont au nez et à la barbe des Allemands, pour les messages et documents importants cachés dans des boîtes de lessives, de sel, produits pharmaceutiques, etc. Un dicton militaire dit que « le bon soldat à de la chance ». Simone Léveillé a eu de la chance car à plusieurs reprises elle a failli terminer à la Malcoiffée, mais la chance, son panache et son sang-froid remarquable lui ont évité le pire.
Cette même année, en août, elle fait la connaissance de Maurice Tinland et devient agent de liaison sous le pseudo de Claire. Chaque jour elle se rend au domicile de maître Tinland pour prendre les instructions et consignes et les distribuer chez tous les chefs de groupe de Moulins et ses alentours. En plus de ses activités précédentes s’ajoutent le transport d’armes et d’explosifs ainsi que l’organisation du service social de Combat. Elle devient un maillon essentiel.
Mais en janvier 1944, Maurice Tinland est arrêté. C’est un véritable traumatisme pour Simone Léveillé, qui malgré le choc n’abandonne pas le combat et retourne dans ce qu’elle sait faire de mieux : le renseignement militaire. Un domaine où elle a excellé au sein du SR Kléber et c’est en retrouvant le lieutenant Schneider à Montluçon qu’elle devient Anne-Marie. Elle dirige un service de renseignement s’étendant sur Moulins, Montluçon, Bourges, Châteauroux, Ussel et Brive. Dénoncée et recherchée par la Gestapo, elle échappe de justesse à l’arrestation, et part se réfugier à Bourges d’où elle dirige, jusqu’à la libération ses agents de renseignement en Corrèze et en Haute-Vienne.
Après-guerre, elle retrouve le calme de la vie civile. Elle ouvre une mercerie rue des Couteliers à Moulins, et s’occupa de son père. Le 11 novembre 1948, Maurice Tinland, avant maire de Moulins, lui rend un vibrant hommage, au nom du général de Gaulle, en lui remettant la médaille de la Résistance et la Croix de guerre 1939-1945 avec étoile d’argent : « jeune française modèle de courage et de patriotisme, s’est mise dès 1941 à la disposition des services de renseignements clandestins. A effectué de nombreuses missions à travers les lignes ennemies, transportant des documents de la plus haute valeur. En février 1943, après l’arrestation de son chef de réseau, s’est rattachée à un autre organisme de résistance, et a pris une part active à la libération du pays ».
En 1953, elle devient conseillère municipale avec comme maire un certain Maurice Tinland et enchaîne plusieurs mandats jusqu’en 1971. Simone Léveillé adopta deux enfants un garçon Claude Léveillé et une fille Christine Léveillé.
La résistante moulinoise s’éteint le 7 mai 1984 suite à un long et cruel cancer.
Il y a tellement à dire et à raconter sur Simone Léveillé, cette Moulinoise passionnée et passionnante, que cette espace de la Malcoiffée lui a été consacrée. L’espionne de l’ombre qui est mise en avant du grand public, grâce à son propre récit qu’elle avait écrit pour ses enfants et ses proches. Des extraits sublimés par les illustrations d’Elise Arnaud guide de la #TeamMalcoiffée et étudiante aux beaux-arts. Simone Léveillé est trop méconnue et notamment des Moulinois et Bourbonnais alors qu’elle devrait être notre fierté à l’instar d’une certaine Anne-de-France. Cette exposition est là pour cela, faire sortir de l’ombre celle qui mérite toute la lumière, de par son héroïsme dans cette période sombre de notre histoire.
Commissaire d'exposition : Farid Sbay



Date de dernière mise à jour : 04/01/2022